La cote 400 de Sophie Divry

Un matin, elle tombe nez à nez avec un lecteur enfermé par inadvertance dans le sous-sol de la bibliothèque municipale. Elle pourrait lui faire la morale. En lieu et place, elle se lance dans un long monologue de plusieurs minutes sur sa vie, ses espoirs, ses rêves déchus mais surtout son métier, le mal aimé, le mal connu, métier de bibliothécaire. Et tout y passe, du classement des livres à celui plus implicite de l’ordre hiérarchique, du rapport aux livres et à la littérature à celui pour qui ces derniers sont destinés, les lecteurs. Dans leur foule hétérogène, il y en a bien un pour se dégager du lot, Martin. Martin qui résume à lui seul toute la grandeur et la décadence de ses idéaux.
Il n’est pas aisé d’écrire sur le métier de bibliothécaire sans susciter les foudres de la « corporation ». Il faut comprendre aussi que ce métier traîne déjà derrière lui un nombre tenaces de préjugés que la littérature ne contribue pas forcément à dissiper. Aussi, c’est avec un certain scepticisme que j’ai abordé la lecture de La cote 400, me sentant tour à tour outrée et agacée. Outrée, car ce texte contribue à sa façon à relayer justement ces mêmes clichés, agacée cependant par son fond criant de vérité. Cette femme, dont on ne connaitra finalement pas le nom, est le stéréotype même de la bibliothécaire : vieille fille, entre deux âges, son quotidien est réglé comme du papier à musique. Elle supporte mal les changements. Elle semble relativement peu ouverte d’esprit et déjà résignée.
Ce texte ne supporte pas une lecture hachée. De par sa construction en monologue et son petit nombre de pages (65), il demande idéalement à être lu d’une traite. Je dois avouer avoir été surprise par la pertinence et la lucidité de certaines réflexions. Quoi qu’elles puissent sans doute tomber sous le sens pour le lecteur averti…
Mon seul bémol finalement est qu’il ne relaye qu’une vision bien spécifique du métier. En tant que bibliothécaire jeunesse par exemple, je ne me reconnais pas du tout dans la description faite du métier par le personnage page 12 : « Etre bibliothécaire n’a rien de valorisant, je vous le dis : c’est proche de la condition d’ouvrier. Moi, je suis une taylorisée de la culture. Sachez-le, pour être bibliothécaire, il faut aimer l’idée de classement et être quelqu’un d’obéissant. » Mais peut-être qu’il s’agit pour nous de lire entre les lignes : si le personnage adopte cette vision de son métier c’est sans doute aussi parce que c’est cette image-même que le lecteur lui renvoi.
Finalement, plus que l’évocation du métier de bibliothécaire – à laquelle je ne peux cependant pas rester totalement indifférente – c’est surtout la vie de femme de ce personnage qui m’a profondément touchée. Il y a chez elle une certaine humanité à la fois touchante et désarçonnante. Sans doute parce qu’à sa façon, ce long monologue de l’insatisfaction, débité au premier inconnu, peut faire écho à notre propre sentiment d’incomplétude.

C.A.

Le livre : La cote 400 de Sophie Divry, éditions Les Allusifs, 11 €

Illustration de la couverture : Alain Pilon


4 responses to “La cote 400 de Sophie Divry

  • Karine

    Je l’avais repéré chez mon libraire.. Seulement, rien que le titre sous-entend que ce livre est destiné à être lu par des bibliothécaires, tu as l’air de dire qu’il reste abordable malgré tout.
    Même s’il ne montre qu’un aspect du métier, il ne peut qu’aider le commun des mortels à comprendre ce métier.
    Je vais l’acheter à la bib tient !!

    • skooob

      Il reste abordable mais je pense qu’il ne touchera que les bibliothécaires qui pourront (éventuellement) s’identifier au personnage, partager certaines de ses idées. Je ne suis pas sûre que ses préoccupations soient suffisamment universelles pour susciter l’intérêt général si je puis dire.

  • Karine L.

    cela me rappelle les longues conversations que nous avons eu à propos de notre métier! à propos je suis enfin en train de lire « La sagesse du bibliothécaire »

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